L’accumulation de sédiments au fond des voies d’eau peut nuire à la navigation (tirant d'eau insuffisant, moindre accessibilité aux quais, vitesse réduite…) et augmenter le risque d’inondation en diminuant les capacités d'écoulement. Le dragage est un moyen d'y remédier. Les matières extraites, qui ont le statut de déchet, nécessitent des modes de gestion qui tiennent compte de la présence de polluants (métaux, HAP…).

Les sédiments sont analysés, dragués puis déshydratés

Avant dragage, les matières à extraire du lit ou des berges des voies d'eau sont analysées et classées en catégories A (non ou peu polluées) ou B (polluées) selon leurs teneurs en certains métaux et micropolluants organiques, conformément à l’AGW du 30/11/1995[1] q. Une fois draguées, ces matières sont transportées vers des centres de regroupement (CR) adaptés à leur catégorie[2] pour y être déshydratées, généralement par lagunage. Elles sont également criblées, avant ou après déshydratation, pour en extraire les déchets exogènes (ferraille, plastique… gérés via les filières adaptées), puis sont valorisées ou éliminées selon leur qualité[3]. L'ensemble de cette gestion relève de la compétence du SPW Mobilité et infrastructures (SPW MI). À noter qu'il n'existe cependant pas à ce jour de données consolidées sur les volumes de sédiments valorisés, sur les volumes de sédiments éliminés en centre d'enfouissement technique (CET) ni sur leur destination finale, leur déclaration par les entrepreneurs n'étant pas obligatoire.

Les volumes dragués dépendent des moyens alloués

Dans les années '90, les dragages d'entretien[4] ont été empêchés par plusieurs facteurs : manque de moyens financiers, législation devenue plus stricte (législation "déchets" et AGW du 30/11/1995) et manque d’installations techniques conformes aux dispositions légales en Wallonie[5]. Cette situation a généré des entraves à la navigation et produit un gisement "passif" de plusieurs millions de m3 de sédiments pour l'ensemble du réseau des voies navigables (450 km)[6]. Entre 2001 et 2009, les dragages ont repris, principalement sur des tronçons peu pollués vu le manque d'infrastructures pour la gestion des matières de catégorie B (polluées). Puis, sur la période 2010 - 2015, grâce à un plan de financement exceptionnel (64 millions d'euros en plus de l'allocation de base annuelle de 16,7 millions d'euros), d’importants travaux de dragage ont été menés pour extraire et gérer 1 271 000 m3 de sédiments en 6 ans, soit en moyenne près de 212 000 m3/an. Pour ce faire, la construction de CR et l'appel à des entreprises privées ont été nécessaires. Ces travaux ont permis de supprimer les entraves à la navigation sur l'ensemble du réseau[7]. Ensuite, 144 000 m3/an ont été extraits et gérés en moyenne sur la période 2016 - 2023, le financement ayant été assuré par l'allocation de base seule (entre 18 et 24 millions d'euros/an). 
 

Volumes de sédiments retirés des voies d'eau navigables en Wallonie

Volumes de sédiments retirés des voies d'eau navigables en Wallonie

Volumes de sédiments retirés des voies d'eau navigables en Wallonie


Une stratégie avec une faible marge de sécurité

Depuis 2016, les moyens sont alloués aux dragages minimums nécessaires pour garantir la navigabilité, ce qui implique des interventions plus fréquentes. Cette stratégie entraîne des coûts de gestion des sédiments plus élevés, notamment en raison des coûts de transport qui comptent pour environ 30 % des coûts de dragage[8]. Elle pourrait conduire à des limitations temporaires et locales de la navigation à pleine charge, avec des impacts économiques(b). L'augmentation de la fréquence des épisodes pluvieux de forte intensité[9], qui favorise l’érosion des sols et fait craindre un envasement plus rapide et non maitrisé, accroît ce risque.

Des sédiments de moins en moins pollués ?

La proportion de matières extraites de catégorie B (polluées) a globalement diminué sur la période 2010 - 2023 : de 64 % en moyenne en 2010 - 2014, elle est passée à 48 % en 2015 - 2019, puis à 15 % en 2020 - 2023. Cette évolution pourrait suggérer une amélioration de la qualité des sédiments, au moins pour les polluants visés par l'AGW du 30/11/1995. Toutefois, elle pourrait aussi résulter du dragage prioritaire de certains secteurs plus pollués dans les années 2010 (canal de Bruxelles-Charleroi p. ex.) ou du fait que les dragages, autrefois plus profonds, se font depuis 2016 sur de faibles épaisseurs (dépôts plus récents, a priori moins pollués).

Une gestion différenciée selon le degré de pollution

Au cours de la période 2001 - 2023, les matières de catégorie A (non ou peu polluées) ont été majoritairement valorisées en tant que produit de dragage selon les usages prévus par l'AGW du 14/06/2001 q : le plus souvent, elles ont été utilisées comme matériau de couverture de CET ou comme remblai dans le cadre de travaux de réhabilitation de sites pollués[10].

Depuis mi-2023, par manque de sites wallons pouvant les accueillir pour une valorisation en tant que produit de dragage, seule une valorisation en tant que terre (travaux de terrassement, remblais) reste possible :

  • en Flandre, moyennant respect des normes de la législation flamande q ;

  • en Wallonie, moyennant dérogation sur base de l’article 13 de l’AGW du 14/06/2001 q et respect des normes de l'AGW "Terres excavées" du 05/07/2018 q.

Cependant, l’assimilation des produits de dragage à des terres implique des analyses de PFAS dont les teneurs, lorsqu'elles dépassent les valeurs limites établies pour des terres, empêchent également cette voie de valorisation. Ceci a pour conséquence que certaines matières de catégorie A ne trouvent plus de filière de valorisation et que leurs coûts de gestion s’en trouvent accrus (coût de mise en CET, surcoût de traitement des eaux).

En ce qui concerne les matières de catégorie B (polluées), sur la période 2001 - 2023, deux tiers ont été éliminés en CET, le solde ayant été soit traité afin d'atteindre les critères de la catégorie A, soit redirigé en Flandre où des normes différentes permettaient dans certains cas une valorisation.

Développer des filières de gestion durable et de valorisation rentable

Avant tout prévenir, puis préparer en vue du réemploi, ensuite recycler, puis valoriser avant d'éliminer. C'est ce que préconise le principe de hiérarchie en matière de prévention et de gestion des déchets q. Pour prévenir la formation de sédiments, il faut lutter contre l'érosion hydrique des sols q, responsable de la majeure partie des apports de matières aux voies d'eau. Concernant la valorisation, des recherches ont été menées entre 2007 et 2022 pour mettre au point et tester de nouvelles filières en Wallonie[11]. Malgré des résultats encourageants, il n'y a pas eu d'applications à grande échelle à ce jour, notamment en raison d'une faible rentabilité financière. Des recherches sont par ailleurs menées par l'industrie cimentière[12], mais leurs avancées restent confidentielles en raison de la forte concurrence du secteur.
 


[1] L'AGW du 30/01/1995 q nécessiterait une révision pour tenir compte de l'évolution des législations "déchets" et "sols".

[2] En 2023, la Wallonie comptait 8 centres de regroupement (CR) gérés par le SPW Mobilité et infrastructures : les CR du Vraimont (à Tubize), d'Erquelinnes (à Erquelinnes) et de Tongres Notre-Dame (à Chièvres) pour les matières de catégorie A ; les CR de Saint-Ghislain (à Saint-Ghislain), de Laplaigne (à Brunehaut) et d'Obourg (à Mons) pour les matières de catégorie B ; les CR de Bilhée (à Ath) et d'Ampsin (à Amay) pour les matières de catégories A et B. La capacité d'absorption annuelle de l'ensemble de ces infrastructures est estimée à 310 000 m3. À ces CR publics s'ajoutent 12 CR d'opérateurs privés.

[3] Selon la destination finale, des traitements supplémentaires peuvent être appliqués.

[4] Les apports annuels de sédiments aux voies d'eau pourraient atteindre 600 000 m3/an selon une estimation ancienne(a), qui concorde avec les rendements en sédiments estimés par le modèle EPICgrid q : sur la décennie 2012 - 2021, ce sont entre 287 000 t/an de sédiments (min. sur la période) et 862 000 t/an de sédiments (max. sur la période) qui ont gagné chaque année les eaux de surface wallonnes par érosion hydrique des sols. Les mêmes ordres de grandeur sont valables en termes de volumes (m3/an) puisque 1 m3 de sédiments humides équivaut à 0,9 à 1 t de sédiments secs. Les volumes dragués avant 1990, compris entre 400 000 m3/an et 600 000 m3/an(b), correspondent également à ces ordres de grandeur.

[5] Le premier centre de regroupement (CR) pour matières de catégorie A était opérationnel en 2001 (CR du Vraimont). Les premiers CR pour matières de catégorie B étaient opérationnels en 2005 (CR de Laplaigne et CR d’Obourg).

[6] Selon des estimations effectuées en 2018 par le SPW Mobilité et infrastructures, le gisement "passif" à extraire serait compris entre 3 et 11 millions de m3 selon les enjeux considérés et les objectifs poursuivis (p. ex. limiter le dragage à la passe navigable, assainir les zones polluées ou ramener l'ensemble du réseau à son gabarit initial).

[7] À noter que le canal de Pommerœul-Condé est réouvert à la navigation (marchande et de plaisance) depuis le 29/07/2024 pour une période probatoire de 6 mois q. Sa remise en service après dragage et mise à gabarit (3 000 t), prévue fin 2023 après plus de 30 ans de fermeture, avait dû être reportée : environ 30 000 t de sédiments s'étaient déposés en 4 à 5 mois entre l'écluse d'Hensies et le pont de Saint-Aybert (France), vraisemblablement en raison d'une forte érosion des sols du bassin versant de la Haine.

[8] Hors coûts de déshydratation, de valorisation ou d'élimination (estimation SPW Mobilité et infrastructures).

[9] Voir l’indicateur "Contribution des précipitations journalières supérieures à 20 mm au total annuel à Uccle de 1901 à 2023" sur le site de l’IRM q.

[10] Parfois, des critères de distance, de disponibilité des CR et de facilité de valorisation ou de coût ont mené à leur envoi en Flandre.

[11] Utilisation de sédiments dans la production de briques ou de granulats d’argile expansée (projet SOLINDUS, 2007 - 2015), dans des aménagements paysagers (projet VALSOLINDUS, 2007 - 2015), ou des revêtements de pistes cyclables (projet VALSE, 2016 - 2022 q), entre autres.

[12] Voir p. ex. le projet COSMOCEM q.


Évaluation

c276b32f-0e48-4d19-8936-2f69ee3759f5 Évaluation de l'état non réalisable et évaluation de la tendance non réalisable

Évaluation non réalisable
  • Pas de référentiel
  • Les budgets alloués pour les périodes 2016 - 2020 et 2021 - 2024 ont permis le dragage et la gestion d'environ 144 000 m3/an entre 2016 et 2023. En ce qui concerne les matières de catégorie A, la majorité a été valorisée en tant que produit de dragage. Toutefois, depuis mi-2023, par manque de sites pouvant les accueillir (destination finale) conformément aux dispositions légales prévues pour ce type de déchets, seule une valorisation comme terre (travaux de terrassement, remblais) reste possible quand la qualité le permet. En ce qui concerne les matières de catégorie B, deux tiers ont été éliminés en CET, le solde ayant été soit traité, soit valorisé en Flandre.
Évaluation non réalisable

Les variations dans le temps des volumes dragués et gérés sont directement liées aux moyens alloués. À noter que le gisement "passif" à extraire a été estimé en 2018 entre 3 et 11 millions de m3 selon les enjeux considérés et les objectifs poursuivis.